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Nicolas Jolivot
4 avril 2020

VOYAGES DANS MON JARDIN (3)

6

 

13 janvier

Ce matin, j'ai eu la chance extraordinaire d'observer un instant sur la cime du prunus un oiseau que je ne vois pas tous les ans, un geai. Juste le temps pour lui d'attraper un ver de terre, de souffler un peu puis de repartir. Il n'est, et ne sera toujours, que de passage. Autant dire que le voir est le fruit d'un hasard qui m'a réjouit jusqu'au déjeuner. 

 18 janvier

S'il gèle à la saint Sébastien, disais-je, mauvaise herbe ne revient. Il en restera dans le jardin… Cette nuit, la gelée fut douce, elle a juste blanchi les toits sans toucher l'eau des bassins. Mais ce matin, le ciel est bien bleu, pas un pet de vent, le soleil fait des taches lumineuses entre les ombres outremer, l'air est limpide, le chant des oiseaux cristallin, les rumeurs, ou plutôt les chuchotis de la ville résonnent au loin. Je me sens bien, comme si de tous les matins vécus celui-ci était le premier, et je me glisse dans les taches du jardin avec le même plaisir que celui de se coucher dans les draps frais d'un lit changé.

19 janvier

En déterrant les framboisiers pour nettoyer le carré et ôter des racines de ronces et de lierre, j'ai trouvé quelques vers blancs. Longtemps j'ai pensé qu'il s'agissait de vers de hanneton connus pour dévorer les racines des légumes, alors j'en supprimais deux sur trois en les écrasant sous mes semelles avec un plaisir sadique à peine avouable et une jubilation non moins coupable d'entendre le ver éclater sous le poids comme un petit ballon de baudruche. Jusqu'au jour où j'ai appris que ces vers, pour la plupart, sont ceux du plus beau coléoptère du jardin, le cétoine doré. Il n'en faut point trop en été, mais se priver de leur brillance verte de pierre rare serait dommage. On  peut distinguer le ver du hanneton et celui du cétoine à leur tête différente, leur pilosité et aussi à une particularité amusante à observer. Je pose le ver sur le métal de la pelle couchée et s'il avance sur le dos en gesticulant les pattes en l'air, je sais que c'est un cétoine. Alors je le laisse en terre ou je le mets dans le compost car lui, contrairement au hanneton, ne mange que les plantes mortes.

31 janvier

Ce mois ne fut pas très hivernal. La température n'a jamais été négative devant la porte d'entrée et seuls trois matins se sont vus parés de blanc dans le centre du jardin. Par un degré sous zéro, la terre n'a pas même gelé. Par contre, ce dernier jour fut particulièrement doux : quatorze degrés.

Oreille-de-lièvre (Otidea onotica) : De bien curieux champignons en forme de coupe longs d'une dizaine de centimètres se sont invités sur le sol humide entre le lila et le prunus.

Mille-pattesLimace grise (Deroceras reticulanum)

Mahonia à feuille de houx (Mahonia aquifolium) : Les racèmes (fleurs groupées sur la même tige) sont déjà en bourgeon.

Loche noire (Arion ater) : Cette juvénile à peine plus grosse qu'un bout de zan est beaucoup moins fréquente que les loches rouges.

PrimevèreViolette odorante (Viola odorata)

 

1855

 

1855

Le jardin abrité entre quatre murs

Mon jardin est situé entre une ville de taille moyenne sise en bord de Loire et un petit village perché au-dessus de la rivière Thouet. Il existait deux chemins pour rejoindre l'une à l'autre. Le premier, plus court, longeait la rivière, mais celle-ci étant régulièrement soumise aux crues hivernales, il fallait un autre chemin, légèrement surélevé, pour assurer une circulation constante. Ces deux chemins parallèles n'avaient pas de lien carrossable sur près de deux kilomètres si bien qu'en 1855, la commune décida de le créer en achetant une parcelle et en la transformant en rue. Ce début d'urbanisation coïncidait aussi avec les travaux d'aménagement de la ville proche qui s'étendait. Un axe central fut créé pour la traverser de part et d'autre, et, à sa sortie sud, des maisons de villes furent peu à peu construites le long de cette nouvelle et large voie. L'environnement proche, où se tenait mon jardin, fut naturellement associé à cette urbanisation, le soustrayant à l'influence du village dont il dépendait. 

La réalisation d'une rue assez large pour laisser passer deux charrettes de front invitait à la construction et la facilitait. En quelques années, plusieurs habitations virent le jour sur de nouvelles parcelles aménagées en clos. Le clos est un aménagement typique de ma région. Le tuffeau est une pierre calcaire relativement facile à travailler. Il était extrait de carrières proches et il se transportait facilement par bateau sur la Loire et le Thouet. Tous les chemins ou presque était bordés de hauts murs en  moellons de tuffeau, les vignes et les propriétés aussi, parfois en pierres de taille quand les propriétaires avaient suffisamment de moyens financiers. Ces murs matérialisaient la propriété ; ils étaient aussi un rempart contre le vent d'ouest ou les gels précoces et tardifs.

Mon jardin se vit donc entouré de quatre murs. A cette époque, le propriétaire de la parcelle était un certain Jacques Pinet, maçon de profession. Il ne serait pas faux de penser, sans preuve sur le papier, qu'il fut à l'origine de la construction du petit abri dans le carré de vigne. Une loge destinée à abriter celui qui faisait plusieurs kilomètres à pied ou à cheval, à divers moments de l'année, pour venir entretenir sa vigne.

 

crue1866

 

Le clos a été monté soigneusement pour ceindre une parcelle de douze ares et soixante dix-huit centiares, soit près de mille trois cent mètres carrés, un rectangle de quarante et un mètres sur trente et un. La semelle des murs fut assemblée de pierres de grès ramassés sur les affleurements rocheux du coteau, une belle "botte", plus qu'une semelle, haute de quarante centimètres destinée à isoler les pierres crayeuses supérieures de l'humidité du sol. Sur cette semelle, quatre assises de solides pierres parfaitement taillées de tuffeau, ont été disposées, jointoyées avec le sable blond rouge de la carrière locale, puis coiffées d'un chapeau débordant de deux centimètres de chaque côté pour les protéger de la pluie. Ces pierres de tailles provenaient peut-être, de par leur teinte légèrement jaune, des carrières à flanc de coteau de Saumoussay, situées à cinq kilomètres en amont sur la rivière, puis elles furent transportées par bateau. Elles ont été débitées en grande baraude, une dimension supérieure au parpaing (petite baraude) qui servait pour la construction des maisons. En moyenne, sur ce clos, elles mesurent cinquante-sept centimètres de long sur trente-trois de hauteur et vingt-six de profondeur. Il fallait deux hommes pour porter une pierre.

Dix ans après sa construction, le clos a connu l'une des crues de la Loire les plus importantes de l'histoire. En octobre 1866, les eaux du fleuve refluèrent dans celles du Thouet et grimpèrent jusqu'à des hauteurs tellement inhabituelles qu'une personne traça le niveau maximal de la crue sur une pierre des murs et y mentionna la date. Une pratique fréquente dans mon pays d'eaux mouvantes et de pierre facile à creuser. Ce débordement exceptionnel aura une incidence sur l'avenir de mon jardin.

 

 

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